L’offensive djihadiste contre Alep a profondément déstabilisé la Syrie. Analyse des forces en présence et des causes de cette attaque qui avait été annoncée par plusieurs experts.
Des groupes pro-turcs du conglomérat de l’Armée nationale syrienne et des terroristes de Hayat Tahrir al-Sham ont lancé une offensive sur l’axe al-Sheikh Aqil – Kabtan al-Jebel et Anjarah, s’emparant de positions avancées. Cela fait deux mois que différents indices montraient qu’une offensive était en cours de préparation.
Que savait-on ?
Des militants s’installaient dans le village de Kyafr Ta’ala et renforçaient leur groupe. Des alarmes ont été déclenchées dans les zones frontalières et des positions avancées ont été mises en place.
Plusieurs points de contrôle ont été établis, trois zones offensives et trois secteurs de responsabilité ont été attribués.
L’ingénierie du terrain et le déploiement de positions de tir par les « forces modérées » de l’armée nationale syrienne et les groupes de Hayat Tahrir al-Sham ont été effectués. L’accent a été mis en particulier sur Saraqib et ses environs.
Des points de collecte de sang ont été organisés à l’avance.
La Turquie a déclaré qu’elle n’était pas prête à normaliser ses relations avec la Syrie, rejetant toute la responsabilité sur Damas.
En conséquence, l’opération « Prêt à repousser l’agression » a été lancée, que les groupes pro-turcs (Division Al-Hamza, Jabhat al-Shamiya, Division Sultan Suleiman Shah) justifient par la nécessité d’arrêter les « bombardements inhumains », de « rendre leurs maisons aux réfugiés » et de « rétablir la justice. »
Offensive des militants dans l’ouest d’Alep, en Syrie : L’effondrement de la défense se poursuit
L’offensive d’un conglomérat de groupes syriens dans l’ouest de la province d’Alep se poursuit. Les forces russes sont entrainées dans une nouvelle manche du conflit interne à la Syrie.
Les groupes qui avancent ne sont pas seulement des terroristes de « Hay’at Tahrir al-Sham » : la participation de militants ouïghours du « Parti islamique du Turkestan », qui opéraient traditionnellement beaucoup plus à l’ouest (au nord de Lattaquié), de militants ouzbeks, dont la plupart opéraient à la frontière avec la province de Hama, ainsi que d’éléments d’autres groupes, a été confirmée.
Tout cela indique un redéploiement planifié d’un nombre important d’unités prêtes au combat, qui sont également impliquées dans l’attaque « psychologique » contre les Syriens : les militants étrangers ont toujours été perçus comme les « plus dangereux » par les Syriens plutôt timides.
Cette attaque est aussi une guerre psychologique pour démoraliser l’armée syrienne.
Dans certaines directions, l’armée syrienne et ses alliés ont réussi à stopper l’avancée des militants : des images de véhicules blindés ennemis détruits sont publiées en ligne. Les terroristes n’ont pas réussi à développer l’avancée au nord d’Ash-Sheikh Aqil et n’ont jusqu’à présent pas pu percer la défense près de Kafr Naha et à l’est d’Anjara.
Les frappes de l’armée de l’air syrienne et des forces aérospatiales russes sont actuellement nettement insuffisantes pour stopper la percée des militants à l’ouest d’Alep.
Avancée des militants dans le nord-ouest de la Syrie : gains des groupes armés dans l’ouest d’Alep. État des lieux le 29 novembre.
À la fin de la journée, les formations antigouvernementales ont réussi à étendre leur zone de contrôle et à se consolider dans la partie ouest d’Alep.
Province d’Alep
Les terroristes de « Hay’at Tahrir al-Sham » (HTS) et les groupes alliés ont réussi à entrer dans les quartiers ouest d’Alep.
En ce qui concerne le nord de la province d’Alep, l’opération terrestre attendue des forces armées turques contre les « Forces démocratiques syriennes » (FDS) kurdes et l’offensive des factions pro-turques de l’« Armée nationale syrienne » (ANS) sur Tell Rifaat et Manbij n’ont pas encore commencé.
Idlib
Près de Saraqib dans l’est d’Idlib, les forces gouvernementales sous la forme de la 25e division des forces spéciales tiennent plus ou moins bon.
Pour l’instant, il est possible de confirmer la présence de militants à Dadikh, Talhiya, Abu Qanees et Tell Karatine. Des affrontements ont lieu dans la zone de Khan al-Subul et Ma’arat Dibsana, d’où ils tentent d’avancer vers Tell Mardikh, où se trouve une colline dont le contrôle renforcera les capacités de combat des groupes armés.
Cette offensive était préparée depuis plusieurs semaines et avait été annoncée par les experts du terrain
Analyse
Cette offensive était préparée depuis au moins deux mois. Elle est l’aboutissement de plusieurs facteurs.
Le premier est l’affaiblissement de l’armée syrienne, causée par la politique américaine. C’est l’analyse faite par Frédéric Pichon.
« La stratégie centrale de Washington envers Damas a été de maintenir le régime aussi faible que possible, par des sanctions, la confiscation de son pétrole et l’isolement. Il faut ajouter à cela l’aide américaine à la destruction de la direction et de l’infrastructure du Hezbollah et de l’Iran et à la destruction par Israël des capacités militaires syriennes depuis le 7 octobre.
Je ne pense pas que Washington ait soutenu ou voulu la prise d’Alep par les rebelles, mais l’incapacité de Damas à reconstruire l’armée syrienne (et surtout son moral) est due en partie aux efforts américains pour affaiblir Damas et l’armée syrienne. Les rebelles ont simplement profité du changement dans l’équilibre régional des forces. »
Le second facteur est que la guerre Israël / Iran peut conduire à une élimination de Bachar al-Assad. Une possibilité annoncée par Fabrice Balanche il y a un mois au micro de Radio Vatican : « Pays rendu exsangue par plus d’une décennie de guerre, la Syrie reste pourtant un maillon clé de l’arc chiite régional, aujourd’hui combattu par les Israéliens.
C’est via ce pays que l’Iran fait transiter les armes à destination du Hezbollah libanais, et c’est surtout grâce aux supplétifs armés par Téhéran dans la région que Bachar El-Assad doit son maintien au pouvoir.
Mais la guerre ouverte qui s’est enclenchée entre l’État hébreu et la milice chiite libanaise constitue aujourd’hui un grand danger pour le régime syrien. »
Troisième point : cette offensive, aussi spectaculaire soit-elle, pourra-t-elle aboutir à une reconfiguration politique ? L’élément clef est la Turquie, qui souhaite être réintégrée dans le concert des nations, notamment en Europe. En faisant pression sur la Syrie, la Turquie espère obtenir plus de visas pour ses ressortissants et disposer de liens économiques renforcés avec l’UE pour sortir de son marasme économique.
C’est ainsi que conclut Frédéric Pichon : « En attendant, il s’agit d’une invasion spectaculaire certes, mais on ne voit pas comment les factions rebelles et djihadistes pourront se maintenir. C’est probablement Erdogan qui les fera rentrer chez eux, après les avoir laissé sortir. »
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Le groupe rebelle Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en Syrie a lancé mercredi une « opération » d’envergure sur les forces de Bachar al-Assad.
Selon le ministère syrien de la Défense, les combattants du HTS et leurs alliés mènent « une vaste attaque sur un large front avec un grand nombre de terroristes qui ont recours aux armes lourdes pour cibler villages et localités et positions militaires ».
Le groupe tient le dernier bastion djihadiste à Idleb, au nord-ouest de la Syrie.
Les combats auraient fait plus de 270 morts selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, ONG qui dispose d’un vaste réseau d’informateurs à Alep.
Prise d’Alep
Les rebelles auraient mené des bombardements sur Alep, visant notamment le centre universitaire. Quatre personnes ont été tuées.
Les forces armées syriennes ont tellement reculé que les djihadistes ont pu entrer vendredi dans Alep, par les quartiers ouest et sud-ouest, provoquant des mouvements de panique chez les habitants.
Il semblerait qu’ils étaient parvenus aux portes de la ville après « deux attentats-suicides avec des voitures piégées », selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Ils contrôleraient aujourd’hui la majeure partie de la ville, dont les bâtiments historiques, gouvernementaux et les prisons.
Les combats se sont également déroulés près de Saraqeb, ville stratégique qui se situe au sud d’Alep, à l’intersection de deux autoroutes reliant Damas à Alep et à Lattaquié. Les djihadistes se sont emparés de la ville et contrôlent désormais cet axe stratégique.
La Russie intensifie ses bombardements et a appelé le régime syrien à « mettre de l’ordre au plus vite » à Alep.
De son côté, l’Iran a renouvelé son soutien à la Syrie, pays stratégique pour relier le Hezbollah à Téhéran et acheminer la drogue et les armes.
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Le jeu turc
La région bénéficiait d’une certaine accalmie depuis un accord de cessez-le-feu conclu entre le gouvernement syrien et les rebelles, en mars 2020.
Dans cet épisode, l’action de la Turquie semble être centrale.
Ankara soutient plusieurs groupes rebelles de longue date, et l’offensive menée depuis mercredi pourrait bien être un nouveau message du sultan Erdogan adressé pour deux raisons : la première, se réconcilier avec Bachar al-Assad – argumentation orientale –, la deuxième, presser l’Occident de délivrer plus facilement des visas aux Turcs et d’accroître les échanges commerciaux afin de libérer la Turquie du marasme économique dans lequel elle est plongée.
Malgré une lourde inflation, le pays enregistrait une croissance de 4 à 5% par an depuis le Covid.
Mais au trimestre dernier, la croissance s’est contractée à 0,4% et la hausse des taux d’intérêt a plongé le pays dans la récession.
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Mots-clefs : Djihadisme, Syrie