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28/08/2024

LE NOUVEAU VISAGE DE LA DOITE AMÉRICAINE SOUTIEN DE TRUMP !

J.D. Vance et le nouveau visage de la droite américaine

 
 

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Publié le 26 août 2024
 

Le sénateur de l’Ohio J.D Vance a été choisi comme colistier de Donald Trump.

Portrait d’un homme politique qui se veut l’avenir du trumpisme.

Gabriel Solans, Université Paris Cité

 

Le choix de J.D. Vance en tant que colistier de Donald Trump à l’élection présidentielle a suscité une attaque en règle en provenance du camp démocrate à l’égard du sénateur de l’Ohio, surtout connu jusqu’ici pour son essai à succès Hillbilly Elegy, livre de mémoires publié en 2016 où il revient sur sa famille modeste rongée par les fléaux de l’Amérique rurale blanche des Appalaches.

L’ouvrage, à la tonalité conservatrice (par exemple, il attribue l’essentiel de la responsabilité pour leur triste sort aux Hillbillies eux-mêmes, présentés comme peu enclins à avoir une véritable éthique du travail), est devenu un bestseller et a été adapté en film.

Bien qu’il n’apporte pas d’idées neuves et n’a que peu de productions écrites à son actif, Vance, 39 ans, devenu sénateur de l’Ohio en 2023, occupe une place de choix au sein des réseaux qui forment une nouvelle élite conservatrice au sein du Parti républicain et autour de celui-ci.

Steve Bannon – le fameux ancien conseiller de Trump considéré par certains comme son éminence grise, ex-patron du site de droite radicale Breitbart News et figure centrale de la « nouvelle droite » américaine, qui vient de commencer à purger une peine de prison ferme pour son rôle dans l’insurrection du 6 janvier 2021 – voit en Vance « the St. Paul to Trump’s Jesus », le converti zélé devenu un apôtre.

Qui est le putatif futur vice-président des États-Unis et qu’est-ce que le post-libéralisme dont il se réclame ?

 

Une figure de proue des « nationaux-conservateurs »

S’il y a un élément évident, c’est que la nomination de J.D. Vance approfondit la rupture de Donald Trump avec l’establishment historique du Parti républicain pour forger de manière définitive un conservatisme de style plus populiste, anti-immigration et nativiste, critiquant la mondialisation et rompant avec les héritages néolibéral en économie et néo-conservateur en politique étrangère.

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Avec l’alliance entre Trump et Vance, on assiste à la destruction du fusionnisme, synthèse idéologique et électorale entre libertariens économiques et conservateurs sociétaux née en 1955 avec la National Review de William Buckley et qui constituait la base du Parti républicain depuis lors.

Vance est considéré comme la figure de proue en politique du mouvement des NatCons, les « nationaux-conservateurs », créé par l’intellectuel israélo-américain Yoram Hazony après la parution de son essai de 2018 intitulé The virtue of nationalism, élu livre conservateur de l’année en 2019.

Ce courant organise chaque année une grande conférence rassemblant des intellectuels occidentaux intitulée NatCons (la première ayant eu lieu en 2019) et mise sur pied par l’Edmund Burke Foundation, think tank dirigé par Yoram Hazony.

Il a pour particularité d’être très ouvert aux penseurs et acteurs politiques du Vieux continent, créant des échanges intellectuels transatlantiques entre nationaux-conservateurs européens et américains.

Les intellectuels et hommes politiques illibéraux d’Europe servent ainsi d’inspiration aux conservateurs étatsuniens pour repenser la démocratie libérale étatsunienne et créer un ordre « postlibéral », ce qui constitue une rupture majeure. Les nationaux-conservateurs sont très admiratifs de Viktor Orban.

Lui-même, son conseiller Balazs Orban, mais aussi Tucker Carlson ou Giorgia Meloni furent des orateurs de marque de la conférence des Natcons.

Le gouverneur de Floride Ron DeSantis, qui a déclaré la guerre au wokisme, fut la star de l’édition de septembre 2022 de ce rassemblement, qui allait se tenir en 2023 à Londres, accueillant notamment la très anti-immigration Suella Braverman, Home Secretary en 2022 et 2023.

Toutes ces personnalités font partie de cercles poursuivant la « révolution » de Trump dans le rapport au monde de la droite américaine, avec notamment le think tank Claremont Institute situé en Californie. La chercheuse Maya Kandel a étudié la façon dont cette galaxie cherche à « théoriser à rebours » le trumpisme, c’est-à-dire donner une forme idéologique intellectualisée aux instincts de Donald Trump.

À la dernière conférence des NatCons en date, en juillet 2024, peu avant la tentative d’assassinat qui allait viser Trump, l’un des orateurs stars a été le conseiller immigration de Trump durant sa présidence Stephen Miller. Lors de cette édition, J.D. Vance a clamé porter un nationalisme basé sur « la terre natale, pas sur des idées », assumant un tournant nativiste et « anti-cosmopolite ».

Vance, converti au catholicisme en 2019, est également proche des intellectuels catholiques de la post-liberal right (un terme pouvant être synonyme de droite illibérale), notamment de Patrick Deneen, avec qui il a partagé une conférence en 2023, et de Rod Dreher (aujourd’hui immigré en Hongrie, séduit par Orban).

 

Patrick Deneen a publié un essai au titre explicite, Regime change, où il appelle à remplacer l’ensemble des élites libérales du pays.

Comptant notamment dans ses rangs Adrien Vermeule, professeur de droit constitutionnel à Harvard, cette galaxie d’intellectuels catholiques considère l’Amérique en faillite, condamnée du fait même de la formation intellectuelle des Pères Fondateurs et de l’héritage des Lumières. Vermeule va jusqu’à souhaiter la mise en place d’une théocratie catholique.

 

Une politique étrangère « jacksonienne » anti-interventionniste

Mais c’est la politique étrangère qui aurait servi d’élément déclencheur à la conversion de J.D. Vance au trumpisme.

Début 2023, il a publié dans le Wall Street Journal un texte d’opinion en faveur de Trump, alors que Ron DeSantis semblait, à ce moment-là, mieux placé pour décrocher l’investiture républicaine. La principale raison de ce ralliement à l’ex-président était l’isolationnisme prôné par celui-ci.

Sur la politique étrangère, Vance est dans la droite ligne des « Natcons » ainsi que du Claremont Institute, formé par des dissidents des néo-conservateurs qui refusaient l’idéalisme wilsonien en politique étrangère.

La Chine est perçue par cette mouvance, adepte d’une perspective dite « réaliste » des relations internationales, comme le seul ennemi des États-Unis, car le seul pouvant le menacer directement.

Pour Trump comme pour les NatCons, les États-Unis doivent porter leurs efforts vers l’Asie et, par conséquent, se désengager de l’Europe – une politique dans la lignée du « pivot vers l’Asie » initié par Barack Obama.

Cet ensemble idéologique peut être qualifié de « jacksonien » selon la typologie établie par Walter Russell Mead des quatre types de politique étrangère aux États-Unis.

Ce terme renvoie à la politique conduite par le président Andrew Jackson (1829-1837) considéré comme un modèle par Donald Trump.

Le jacksonisme serait moins un repli sur soi qu’une défense musclée des intérêts directs étatsuniens, sans idéalisme et uniquement sur la base d’enjeux de puissance.

Sénateur depuis 2022, Vance s’est distingué en étant le chef de file au Sénat des Républicains souhaitant réduire l’aide à l’Ukraine, exhortant les Européens à accroître leur propre engagement.

Début 2022, peu après le début de l’invasion, devant la Heritage Foundation, il déclarait ne pas se sentir concerné par ce qui pourrait advenir de l’Ukraine et qualifiait la Chine de seul « real enemy » des États-Unis. J.D. Vance est évidemment favorable à l’aide à Israël et a accusé Biden d’avoir ralenti la victoire sur le Hamas.

Son isolationnisme ne semble pas s’appliquer à Israël, tant pour des raisons religieuses que parce que, selon lui, l’alliance avec l’État hébreu serait profitable à l’Amérique, notamment pour la coopération technologique.

 

Des liens avec la mouvance NRx ou « droite tech »

Le parcours de Vance nous éclaire aussi sur les réseaux de la mouvance NRx, ou « néo-réactionnaire », terme généralement traduit en français par « droite tech ».

Ce courant est apparu dans les années 2000 au sein d’une fraction des élites de la Silicon Valley convaincues par les écrits du blogueur Curtis Yarvin (ou Mencius Moldbug sous pseudonyme). Vance a cité son projet consistant à pousser le spoil system (système permettant à tout nouveau président de remplacer un certain nombre de postes dans l’administration) jusqu’aux employés d’échelon moyen, quitte à aller à l’encontre de la Cour suprême. Yarvin est en effet à l’origine de l’expression aux accents libertariens RAGE (« Retire All Government Employees »). Selon sa formule, « Cthulhu only swims left », le monstre tentaculaire de Lovecraft symbolisant l’excès d’État qui pour lui conduirait structurellement à une politique de gauche.

Elon Musk et Peter Thiel sont des soutiens de ce courant aux contours flous représenté par quelques auteurs. Ils ont en commun d’être très critiques de la démocratie libérale et de prôner un retour de l’ordre (parfois jusqu’à la monarchie), et parlent à l’occasion de différences biologiques entre groupes humains et d’inégalités naturelles.

Pour eux, l’association historique entre la démocratie et le libéralisme économique est une erreur créatrice d’« entropie » (de désordre) et qui doit être corrigée pour que l’Occident soit sauvé. Toutefois, si pour les illibéraux classiques il faut refonder la démocratie en mettant au ban le libéralisme, pour la mouvance NRx il faut sauver le libéralisme de la démocratie par un régime autoritaire, ce qui semble paradoxal.

Comment ces deux visions peuvent-elles coexister ?

Curtis Yarvin considère que la démocratie n’a de sens que pour faire élire celui qui mettra fin à celle-ci et espère que Trump effectuera ce travail, ou à tout le moins rapprochera le pays de cet objectif. En attendant, les réseaux se soudent pour préparer l’alternance et le nouveau stade du Parti républicain.

C’est le milliardaire Peter Thiel, un des grands mécènes (et essayiste) de cette mouvance, soutien aussi de Trump, qui finance les conférences Natcons ainsi que les campagnes électorales de plusieurs sénateurs trumpistes (dont J.D. Vance, à qui il donna 15 millions de dollars, ou encore Josh Hawley notamment). C’est un membre éminent de la « Mafia PayPal » où l’on retrouve également Elon Musk.

 

En 2016, Vance a rejoint sa société de capital-risque, Mithril Capital Management. Thiel a permis le rapprochement de Vance avec Trump, lui qui avait auparavant compté parmi les « Never Trump ».

La Heritage Foundation, think tank conservateur historique datant de l’ère Reagan, a publié un très long texte de 900 pages intitulé sobrement Project 2025 qui donne des indices sur ce qui est souhaité par tous ces groupes.

Trop radical dans ses appels à un tournant autoritaire de l’exécutif américain, il a été désavoué par Donald Trump alors que les critiques commençaient à pleuvoir. J.D. Vance, lui, semble totalement s’y retrouverThe Conversation

Gabriel Solans, Doctorant en civilisation américaine, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Source et Publication :   https://fr.gatestoneinstitute.org/20857

13/08/2024

GÉOPOLITIQUE : CONFLIT RUSSO / UKRAINIEN ! UNE HISTOIRE ..........( MICHEL LEBLAY )

 il | Europe |

Guerre en Ukraine : une histoire, une géopolitique

Guerre en Ukraine : une histoire, une géopolitique
 
 
Guerre en Ukraine : une histoire, une géopolitique

Dans ce texte fouillé, Michel Leblay revient en profondeur sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Une analyse passionnante, pleine de hauteur.


Polémia

 

Loin d’avoir été la marque d’une « fin de l’histoire », la dissolution de l’URSS en décembre 1991, négociée par trois partenaires (les dirigeants de la fédération de Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine) pressés d’être les chefs d’États nouvellement indépendants, ouvrit la voie à des tensions tournant à la belligérance. 

Déjà, l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’étaient opposés (1988) avant même la fin de l’État créé par le pouvoir communiste. 

En 2008, l’armée russe envahit la Géorgie.

 En Asie centrale, des négociations plus ou moins difficiles sur les frontières furent menées entre les anciennes républiques socialistes soviétiques de la région.

Il n’y eut pas d’issue favorable entre le Tadjikistan et le Kirghizistan par rapport à une frontière difficile à délimiter dans la vallée de la Ferghana, et des affrontements entre les deux pays débutèrent en mai 2021.

Le heurt majeur est intervenu en Ukraine, considérée par les Russes comme la source de leur histoire. 

En s’appliquant par des actions subreptices à détacher définitivement Kiev de Moscou, l’Amérique y a vu le moyen d’affaiblir définitivement la puissance russe.

Les Russes, après l’effondrement subi dans les années 1990, élurent à leur tête un dirigeant soucieux de rétablir la position d’un pays au passé prestigieux, dont les frontières avaient été réduites à celles qui prévalaient avant l’accession au trône de Catherine II, voire de Pierre le Grand. 

Vladimir Poutine avait, notamment, pour objectif que la Russie conserve une emprise sur son « étranger proche », constitué par l’essentiel des anciennes républiques socialistes soviétiques.

 Tout ceci dans une reconfiguration de la géopolitique mondiale où ont émergé de nouveaux pôles de puissance et où les États-Unis ont pour objectif d’assurer leur primauté.

 

La guerre engagée par l’armée russe

Le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine, son armée attaquant sur quatre axes, au nord, à l’est et au sud.

 L’action principale au nord, marquée par la tentative de prise de l’aéroport d’Hostomel et destinée à la prise de Kiev, échoua rapidement.

 Si aucun objectif assigné à son armée par le président de la fédération de Russie ne fut annoncé, à l’évidence, au vu de la tournure des combats, ce premier engagement fut un échec.

 Il est possible que les concepteurs du plan se référèrent pour son élaboration à l’occupation de la Tchécoslovaquie en août 1968 et à la prise de Kaboul en décembre 1979 : maîtrise rapide de la capitale du pays et de ses différents centres de direction, et neutralisation des dirigeants politiques.

Comme dans toutes les guerres, les informations fournies par les belligérants sont soumises au préalable à la censure et elles relèvent pour beaucoup d’entre elles de la propagande. 

Néanmoins, des experts reconnus ont offert, au fil des semaines, des études qui, au vu de leurs précisions et de leur maîtrise du domaine de la guerre, paraissent correspondre à la réalité des combats en cours. 

Insuffisante en effectifs face à un adversaire nettement mieux préparé que prévu, l’armée russe a montré des failles au moins en matière d’organisation (déficience du commandement, graves défauts de l’encadrement…) et de logistique, difficultés déjà rencontrées durant la Première Guerre mondiale et lors de l’offensive allemande de 1941. 

Par ailleurs, elle n’a pas réussi à obtenir la suprématie aérienne, indispensable à la conduite d’une action en profondeur.

Face à cette armée russe, l’armée ukrainienne, qui, à l’origine, n’était qu’un démembrement de l’Armée rouge de l’ancienne URSS, a bénéficié, au moins depuis 2014, sinon antérieurement, d’une assistance importante de la part des puissances anglo-saxonnes, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Malgré les revers des premières heures, l’armée russe a avancé en territoire ukrainien, s’emparant au sud de la rive occidentale de la mer d’Azov avec la prise de Marioupol puis franchissant le Dniepr pour prendre Kherson.

 À l’est, cette armée progressait dans la région du Donbass, et, au nord, elle s’implantait autour de Kharkiv.

L’armée ukrainienne, qui a bénéficié dès le début d’importantes livraisons d’armes, en premier lieu des États-Unis mais aussi du Royaume-Uni, a été considérablement renforcée en matériels tout au long du printemps de l’année 2022, ce qui lui a permis d’éviter toute rupture du front et de préparer une contre-offensive pour le début de l’automne. 

En matière de planification, elle aurait bénéficié pour celle-ci des conseils d’experts américains hors d’Ukraine. 

Cette armée a ainsi pu reprendre au nord la région de Kharkiv, à l’est des portions de territoires du Donbass, occupées après le 24 février, et, au sud, rejeter les troupes russes sur la rive orientale du Dniepr.

Face à cette situation, le commandement russe fut réorganisé. 

Une ligne de défense en profondeur, dite « ligne Sourovikine » du nom du général qui commandait alors en Ukraine, fut aménagée. 

Pour reprendre le territoire initialement perdu et franchir les défenses adverses, l’armée ukrainienne a bénéficié de la part des pays occidentaux et, en premier lieu, des États-Unis d’importantes quantités de munitions et de matériels, chars, artillerie, blindés de transports de troupes… 

Il s’agissait de préparer une contre-offensive déterminante. 

Engagée au début du mois de juin 2023, celle-ci n’a permis à l’automne suivant aucune avancée significative. 

Dans les semaines précédentes, de violents combats avaient débuté autour de la ville de Bakhmout. 

Les forces russes, principalement composées, en ce lieu, de la milice Wagner, ont fini par s’emparer de cette ville.

 Comme dans le reste des opérations, les taux de perte, de part et d’autre, ont été fort élevés.

 

Il faut souligner, du côté de l’Ukraine, certaines faiblesses militaires inhérentes à sa situation :

  • le matériel livré, d’une technique avancée, nécessite un temps de formation qui ne peut être accompli dans sa totalité, vu les circonstances, et sa disparité complique la chaîne logistique ;
  • outre l’emploi direct du matériel, les unités sont insuffisamment formées à la manœuvre d’ensemble ;
  • le rapport démographique est défavorable à l’Ukraine.

 

Ce premier constat militaire ainsi fait, il importe d’analyser les origines de ce conflit avant de pouvoir en mesurer les conséquences et en entrevoir les solutions. 

Il est l’aboutissement d’un processus qui a débuté après la chute de l’URSS, fruit, d’une part, d’une volonté américaine de reconfigurer la géopolitique mondiale aux bénéfices des États-Unis, et, d’autre part, de la volonté du président de la fédération de Russie, élu en mars 2000, de maintenir une zone d’influence exclusive à l’intérieur des frontières qui constituaient l’URSS, héritière de l’empire des tsars, patiemment construit au fil des siècles, bordant la mer Baltique, la mer Noire et l’océan Pacifique.

 

La « fin de l’histoire » et l’exercice du hard power américain

À la dissolution de l’URSS, le 26 décembre 1991, l’Amérique apparut comme le vainqueur de « la guerre froide », sans avoir eu à combattre son adversaire. 

Celui-ci s’effondra de son seul fait, incapable de répondre aux défis des temps et aux aspirations d’une population frustrée de ne pouvoir jouir des mêmes libertés et des mêmes richesses qu’en Occident qu’elle percevait à travers un monde de communication de plus en plus ouvert.

Vainqueur sans le sacrifice du sang, l’Amérique dans la décennie mille neuf cent quatre-vingt-dix, sous la présidence de Bill Clinton, s’imagina que ses valeurs faites de démocratie et d’un libéralisme économique parfois effréné (pourvu qu’il soit à l’avantage de l’Amérique, protectionniste pour sa part lorsqu’elle considère qu’un quelconque de ses intérêts est menacé) devaient être diffusées à travers la planète sous son égide bienveillante. 

Ce fut le mythe de la fin de l’histoire.

 À côté de cet envol idyllique qui forgea pour partie la doctrine des néo-conservateurs, il y eut l’approche plus géopolitique incarnée par Zbigniew Brzeziński, exprimant sa vision dans son livre Le Grand Échiquier, paru en 1997.

 Là, au-delà des observations du moment, se trouve toute la filiation de la géopolitique anglo-saxonne, héritière d’Halford Mackinder. 

Thalassocratie plus encore que la Grande-Bretagne car séparés de l’immense ensemble eurasiatique et son prolongement africain par deux vastes océans, l’Atlantique et le Pacifique, les États-Unis ne pouvaient admettre qu’un quelconque équilibre puisse s’y former à leur détriment mettant alors en péril la primauté de leur puissance.

 Autre pilier qui allait guider l’action des néo-conservateurs.

Si Joseph Nye a théorisé, là aussi, dans les années mille neuf cent quatre-vingt-dix le concept de soft power comme facteur de diffusion de la puissance, les États-Unis, première puissance militaire du monde, ont largement usé de leur hard power dans les vingt années qui suivirent.

Alors que les États européens tentaient par des interventions sous l’égide de l’ONU de rétablir une paix dans une Yougoslavie à l’agonie où se déchiraient les entités qui l’avaient constituée autour d’une Serbie dominante, les États-Unis entrèrent dans la partie, d’abord diplomatiquement (accords de Dayton du 14 décembre 1995) puis militairement. 

En 1999, sans l’accord de l’ONU, les États-Unis et leurs alliés engagèrent, au titre de l’OTAN, des opérations contre la Serbie pour l’obliger à évacuer sa province du Kosovo où la population d’origine albanaise devenue majoritaire à la suite des migrations du xxe siècle s’était insurgée pour exiger une séparation

. Le Kosovo était le berceau de l’identité serbe.

 Les Serbes, peuple slave orthodoxe, avaient depuis longtemps une relation privilégiée avec les Russes, ce qui fut l’une des causes de la Première Guerre mondiale. 

Mais, cette fois, le frère russe, trop affaibli, ne pouvait être d’aucune aide ; il n’en fut pas pour autant indifférent. 

La Serbie, après une vague de bombardements, se soumit à la volonté américaine.

Puis survinrent les attentats du 11 septembre 2001

. Coup d’éclat, opération de terreur sans stratégie de support, ayant pour objectif l’humiliation de l’Amérique, l’effondrement spectaculaire des deux tours du World Trade Center offrit l’occasion aux néo-conservateurs d’imposer leurs vues dans cette Amérique qui n’avait jamais été attaquée sur son sol depuis 1812.

Alors débuta un enchaînement guerrier.

 Par sa résolution 1368 du 12 septembre 2001 qui se référait à l’article 51 de la charte des Nations unies sur le droit à la légitime défense des États, le Conseil de sécurité reconnut aux États-Unis le droit de répondre par une action militaire à l’acte terroriste dont ils avaient été la victime. 

Fort de cette résolution votée à l’unanimité du Conseil, les États-Unis entamèrent, dans la nuit du 7 au 8 octobre 2001, une campagne de bombardements à l’encontre d’Al-Qaida et de ses hôtes talibans au pouvoir à Kaboul. 

Le 13 novembre suivant, les troupes de l’Alliance du Nord, appuyées par les Américains, entrèrent dans la capitale afghane. 

 Le 20 décembre 2001, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1386 autorisant dans son premier article « la constitution pour six mois d’une force internationale d’assistance à la sécurité pour aider l’Autorité intérimaire afghane à maintenir la sécurité à Kaboul et dans ses environs, de telle sorte que l’Autorité intérimaire afghane et le personnel des Nations unies puissent travailler dans un environnement sûr ».

 Le commandement de la force internationale fut confié à l’OTAN. 

La présence des forces occidentales dura près de vingt ans, jusqu’à l’évacuation calamiteuse de Kaboul, le 15 août 2021, après la reprise de la capitale afghane par les talibans.

S’inscrivant dans un projet de reconfiguration du « Grand Moyen-Orient », l’armée américaine envahit l’Irak le 20 mars 2003, violant la charte des Nations unies. 

Le Conseil de sécurité avait refusé de donner son aval à cette opération militaire, l’intervention du ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, le 14 février 2003, restant l’événement marquant des débats.

 Là aussi, ce fut l’échec (voir Le Monde, « “Liberté en Irak”, retour sur le fiasco de l’invasion américaine », 14 juin 2014).

 Les troupes américaines se retirèrent d’Irak le 15 décembre 2011, sur la décision du président Obama.

Autre revers, l’intervention en Libye, cette fois menée par la France et le Royaume-Uni avec l’appui des États-Unis.

 Outrepassant les autorisations accordées par la résolution 1973 du Conseil de sécurité du 17 mars 2011, notamment dans ses articles 4 et 6, Français et Britanniques permirent l’élimination physique du chef d’État libyen. 

À ce jour, cet État n’existe plus, le pays est divisé, livré aux milices, avec un gouvernement à Tripoli et un parlement à Tobrouk.

 La France a payé lourdement au Sahel le prix des erreurs commises.

Loin d’apporter une quelconque justification à l’invasion de l’Ukraine par l’armée de la fédération de Russie, le rappel des principales interventions militaires occidentales depuis la chute de l’URSS est un facteur indispensable pour comprendre et juger des positions des États du « reste du monde », ou du « Sud global » selon l’expression, face à cette invasion.

 Lors des votes à l’Assemblée générale des Nations unies, la condamnation de cette invasion fut certes majoritaire, en nombre d’États (vu sous l’angle démographique, le rapport est différent, la Chine, l’Inde, le Pakistan s’abstenant notamment) ; en revanche, l’application de sanctions (ce qui pèse dans la réalité) est pratiquement limitée aux pays occidentaux. 

Hors de cette aire, non seulement les sanctions ne sont pas appliquées, mais certains pays permettent de les détourner (voir Marco Cesario, « Guerre en Ukraine : comment la Russie parvient à détourner les sanctions », Élucid, 22 mars 2023 ; Jean-Pierre Filiu, « Les Émirats dans le camp russe face à l’Ukraine », Le Monde, 2 avril 2023).

 

Les États-Unis vis-à-vis de la fédération de Russie

Après avoir situé l’action internationale des États-Unis et de leurs alliés occidentaux dans leurs différentes interventions militaires menées depuis trois décennies, bien évidemment, il faut se pencher sur la relation entretenue avec la fédération de Russie.

Dès les années qui suivirent le démembrement de l’URSS et l’indépendance des quinze républiques qui la constituaient, Zbigniew Brzeziński, ancien conseiller à la sécurité du président Carter a défini une forme de cadre conceptuel dans son livre Le Grand Échiquier – L’Amérique et le reste du monde, publié en 1997.

 Il y écrit : « Pour l’Amérique, l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie. 

Depuis cinq siècles, les puissances et les peuples du continent qui rivalisent pour la domination régionale et la suprématie globale ont dominé les relations internationales. Aujourd’hui, c’est une puissance extérieure qui prévaut en Eurasie. 

Et sa primauté globale dépend étroitement de sa capacité à conserver cette position. » 

Il ajoute : « L’Eurasie demeure, en conséquence, l’échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale. […] Le “jeu” se déroule sur cet échiquier déformé et immense qui s’étend de Lisbonne à Vladivostok. »

 La vision de Brzeziński se place ainsi dans l’héritage de Mackinder.

Dans cette Eurasie de la fin du xxe siècle, Brzeziński distingue, d’une part, cinq acteurs qu’il qualifie de « géostratégiques » : la France, l’Allemagne, la Russie, la Chine et l’Inde[1] ; et cinq « pivots géopolitiques » : l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Corée, la Turquie et l’Iran. S’agissant de l’Ukraine, il écrit : « L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. »

 

Bien sûr, à l’époque où il a publié son livre, Brzeziński n’occupait plus de fonctions officielles, ce qui a conduit certains à limiter la portée de son essai, n’y voyant que le fruit d’un commentateur d’une nouvelle configuration géopolitique.

 Il n’empêche qu’il conservait une forte influence dans le milieu des décideurs américains. 

Il était membre du Council on Foreign Relations et Barack Obama le désigna durant sa campagne électorale comme son conseiller aux affaires étrangères.

Ainsi, après la politique d’endiguement (containment) de l’URSS conceptualisée par George Kennan[2] dans son télégramme de février 1946 et exprimée par Harry Truman dans son discours du 12 mars 1947 devant le Congrès, la pensée de Zbigniew Brzeziński, celle d’une politique de refoulement (roll back), devint l’axe de la politique étrangère américaine face à la fédération de Russie.

Tout commence lors de l’entretien à Moscou entre Mikhaïl Gorbatchev, président de l’URSS, et le secrétaire d’État américain James Baker, le 9 février 1990, sur la réunification allemande. 

Selon les témoignages et les procès-verbaux respectifs, il apparaît bien qu’il y eut un engagement américain verbal par rapport à ce que devait être la position de l’OTAN.

 Cet engagement était propre à la réunification allemande (venu à Moscou le lendemain, 10 février 1990, Helmut Kohl déclarait « que l’OTAN ne devrait pas élargir sa portée[3] »).

 Il s’agissait pour les États-Unis de renoncer à toute présence de forces de l’OTAN au-delà de la ligne qui séparait les deux Allemagnes. 

 En 1990, si l’URSS avait perdu le glacis que Staline avait obtenu à Yalta, elle demeurait, au moins dans les apparences, l’une des deux grandes puissances dont la dislocation prochaine était encore difficilement prévisible.

L’URSS disparue après la décision de son démembrement prise le 8 décembre 1991 à Minsk par les dirigeants des trois républiques socialistes soviétiques de Russie, de Biélorussie et d’Ukraine alors que certaines des quinze républiques de l’Union dont l’Ukraine avait déjà proclamé leur indépendance, la nouvelle fédération de Russie se présentait en héritière de celle-ci.

 Juridiquement, elle reprenait le siège permanent de l’URSS au Conseil de sécurité (il faut noter que, du temps de l’URSS, la Biélorussie, nouvellement appelée Bélarus, et l’Ukraine étaient déjà membres de l’Organisation des Nations unies) et sa place dans d’autres organisations internationales. 

Héritière de l’URSS mais aussi de l’empire tsariste auquel la première s’était substituée, la fédération de Russie conservait un immense territoire, le plus grand de tous les États de la planète, mais sensiblement réduit puisque ses frontières étaient en deçà de celles laissées par Catherine II et Pierre le Grand. 

Pour autant, à travers la création de la Communauté des États indépendants, elle aspirait à conserver une prépondérance dans l’ancien espace territorial de Nicolas II et Staline.

La fédération de Russie de Boris Eltsine

Près d’une décennie allait s’écouler avant que la situation ne se stabilise dans la nouvelle fédération de Russie avec l’arrivée de Vladimir Poutine d’abord comme Premier ministre puis comme président. 

S’il y eut un chaos économique et social interne, la position internationale du pays n’a pas été sans évolution du fait de celle des États-Unis à son égard. 

Deux ministres des Affaires étrangères successifs incarnent cette évolution : Andreï Kozyrev (titulaire du portefeuille du 11 octobre 1990 au 5 janvier 1996) puis Ievgueni Primakov (10 janvier 1996 – 11 septembre 1998).

 Ce dernier fut Premier ministre du 11 septembre 1998 au 12 mai 1999. Libérée de soixante-dix ans de collectivisme, soucieuse d’un développement économique, la fédération de Russie au temps de Kozyrev fut marquée par une volonté de proximité avec l’Occident et les États-Unis, recueillant un avis favorable dans la société.

 La réponse de l’Occident ne fut pas à la hauteur de l’attente ni dans l’aide accordée ni dans la position internationale reconnue.

 Si bien que, lors des élections législatives de 1995, le Parti communiste remporta 157 sièges sur les 450 que comptait la Douma, permettant avec les partis alliés de faire élire un député communiste à la présidence de cette Douma. 

Cependant, Boris Eltsine fut réélu le 3 juillet 1996 pour un second mandat de quatre ans. 

Après les élections législatives, Ievgueni Primakov fut donc nommé ministre des Affaires étrangères le 10 janvier 1996. 

Ayant occupé de hautes fonctions au sein du KGB, ce spécialiste du monde arabe dont il parlait couramment la langue eut pour ligne de conduite la défense de l’intérêt national. 

Or, pour la Russie, durant la période où Primakov exerça sa fonction ministérielle puis celle de Premier ministre, cet intérêt national fut mis à mal par les décisions et les actions entreprises par l’OTAN. 

Ce fut, d’une part, un premier élargissement, en 1999, à d’anciens membres du pacte de Varsovie, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, et d’autre part les bombardements contre la Serbie au printemps 1999. 

Avant même ces événements, et comprenant ce qu’étaient la vision des États-Unis d’un ordre mondial et leur volonté de dominer celui-ci sans partage, Primakov avait une conception de ce que devaient être la politique étrangère de son pays et les bases d’un équilibre des relations internationales sans que celles-ci ne fussent jamais formalisées.

 Ce qui fut appelé la « doctrine Primakov » reposait sur un ordre international multipolaire au sein duquel la Russie opérerait sur plusieurs axes en s’intégrant économiquement dans la mondialisation en cours[4].

Après un intermède de trois mois où Sergueï Stepachine remplaça Ievgueni Primakov comme chef du gouvernement russe (12 mai – 9 août 1999), Vladimir Poutine fut nommé Premier ministre le 9 août 1999. 

Désigné, en vertu de la Constitution, président de la fédération de Russie, le 31 décembre 1999, après la démission de Boris Eltsine, il fut élu officiellement président le 26 mars 2000.

 Il s’agissait d’abord de rétablir l’ordre intérieur miné par un effondrement économique, la corruption et la sécession tchétchène. 

À l’extérieur, cet ancien officier du KGB, chef de l’antenne de Dresde au moment de la chute du mur de Berlin, avait pour ambition de restaurer une puissance russe.

 Elle impliquait plusieurs regards : celui porté sur les liens entre la fédération de Russie et les anciennes républiques qui constituaient l’URSS, devenues indépendantes ; la relation avec l’Occident et, avant tout, avec les États-Unis ; puissance eurasiatique, la Russie ne pouvait que développer ses rapports avec la Chine en pleine ascension économique ; enfin, membre permanent du Conseil de sécurité, soucieuse de son statut international, elle se devait d’être un acteur de la scène mondiale.

 

La fédération de Russie et son « étranger proche »

Dans la foulée de la dissolution de l’URSS programmée par l’accord signé le 8 décembre 1991 dans une résidence située dans la forêt de Belovej, proche de Minsk, les trois signataires décidèrent la création de la Communauté des États indépendants, la CEI. 

Elle regroupait, à l’origine, douze des quinze anciennes républiques socialistes soviétiques. Les trois États baltes, annexés par l’URSS en juin 1940, refusèrent de s’y joindre. La Géorgie, le Turkménistan et l’Ukraine quittèrent par la suite l’organisation.

Dans cet « étranger proche » selon l’expression de la diplomatie russe, outre les pays Baltes, à l’histoire particulière, qui avait conquis une première indépendance en 1918, trois ensembles géographiques doivent être distingués. 

À l’ouest, la Biélorussie et l’Ukraine, au sud, les républiques du Caucase avec la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et les républiques d’Asie centrale (le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan). 

 Situées au centre de l’Eurasie, disposant pour certaines d’entre elles d’importantes ressources en hydrocarbures, principalement le Kazakhstan, la création des nouvelles routes de la soie, traversant cet espace eurasiatique, en fait un enjeu de la géopolitique régionale sinon mondiale. 

Le sud du Caucase ou Transcaucasie, carrefour de civilisations et lieu d’affrontement entre celles-ci, est un espace permanent d’instabilité où la fédération de Russie maintient une présence en Arménie qui subit la conquête territoriale progressive de l’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie en quête de pénétration dans l’espace turcophone de l’Asie centrale. 

À l’ouest de la région, bordant la mer Noire, se situe la Géorgie, pour partie tournée vers l’Occident qu’illustre sa relation avec l’OTAN sans pour autant être détachée de son ancien maître russe.

 En témoigne l’ambivalence au sommet de l’État entre une présidente de la République pro-occidentale, Salomé Zourabichvili (ancienne ambassadrice de France), et un gouvernement, appuyé sur une majorité parlementaire, qui tient un discours favorable à l’OTAN et à l’Union européenne mais qui n’a pas condamné l’invasion de l’Ukraine. 

Si les États-Unis aspirent à s’y implanter au moins par une alliance dûment scellée et peut-être par des bases, l’avenir est encore incertain.

 

Les États-Unis, la Russie et l’Ukraine

Tout en observant que l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, le 24 février 2022, est un acte d’agression en violation du droit international, l’analyse oblige aussi à en examiner les ferments qui tiennent à l’évolution de la relation avec les États-Unis et le jeu de ceux-ci par rapport à cette « Petite Russie ».

 Il ne s’agit nullement de justifications par rapport à ce qui apparaît comme une erreur politique de la part de la Russie présidée par Vladimir Poutine, mais de montrer que l’Amérique ne peut se prévaloir d’une quelconque incarnation de la vertu et du bien.

 Depuis les années quatre-vingt-dix, elle a eu pour objectif d’assurer une domination planétaire et une prééminence économique nécessaire à son confort matériel. 

Empreinte aussi d’un sentiment messianique, elle a pensé pouvoir modeler le monde à des valeurs qui lui sont propres, indifférente à la réalité des diverses aires de civilisation et des cultures et des mœurs qui les sous-tendent.

Face à une situation intérieure désastreuse et certainement décidé à rétablir une puissance russe qui avait atteint son apogée au temps de l’URSS, Vladimir Poutine s’est montré, dans les premières années, plutôt bien disposé à l’égard des États-Unis.

 Il leur apporta son appui après les attentats du 11 septembre 2001.

 Les appareils de l’US Air Force purent ainsi survoler l’Asie centrale pour le ravitaillement de leurs troupes présentes en Afghanistan et disposer d’une base à Manas au Kirghizistan. 

Néanmoins, en 2003, elle s’opposa au Conseil de sécurité des Nations unies à l’invasion de l’Irak. 

En cela, elle se joignit à la France, premier rôle en la circonstance, et à l’Allemagne par rapport à une opération qui visait, sous des prétextes fallacieux, à assujettir à l’Amérique le Proche et le Moyen-Orient.

C’est en novembre 2004 avec la « révolution orange » à Kiev qu’il apparut qu’à l’évidence les Russes et les Américains ne pouvaient que s’opposer dans leurs intérêts.

 Les premiers voulant maintenir une influence prépondérante sur un pays qu’ils considèrent comme le berceau historique de la Russie, les seconds appliquant en fait la vision formulée par Zbigniew Brzeziński. 

L’objet de cette « révolution » était la contestation de la victoire à l’élection présidentielle ukrainienne de Viktor Ianoukovytch, russophile, contre Viktor Iouchtchenko, réputé plus proche de l’Occident avec une assise électorale à l’ouest du pays. 

Cette opposition politique reflète la réalité ukrainienne et son histoire.

 L’Ukraine est un État sans frontières naturelles à l’est comme à l’ouest. 

Russophone dans sa partie orientale, la part de la population hostile à la Russie est croissante au fur et à mesure qu’approche la frontière occidentale.

 Au long de l’histoire, du fait des avancées et des reculs des uns et des autres, les frontières ont été déplacées.

 Entre le xviie et le xviiie siècle, l’Empire russe l’annexa par ses conquêtes contre la Pologne (traité d’Androussovo de 1667 et partages de la Pologne en 1772 et 1793) et contre l’Empire ottoman (traité de Küçük Kaynarca du 21 juillet 1774).

 Durant la Seconde Guerre mondiale et à l’issue de celle-ci, Staline annexa à l’Ukraine les provinces de Galicie, de Bucovine du Nord et de Ruthénie, intégrées dans l’empire d’Autriche-Hongrie jusqu’en 1918.

Sous la pression des manifestations de rue, une nouvelle élection présidentielle fut organisée, qui vit la victoire de Viktor Iouchtchenko. 

Ce duel par candidats interposés pour une mainmise géopolitique sur l’Ukraine s’inscrit dans le cadre plus large de l’extension de l’OTAN aux anciens pays membres du pacte de Varsovie et aux républiques baltes, extension réalisée en deux fois, en mars 1999 et en mars 2004. 

Certes, il y eut la création d’un Conseil OTAN-Russie mais il s’avéra sans résultats significatifs.

Le retour à une opposition explicitement affichée entre la Russie et les États-Unis date du 10 février 2007 avec le discours prononcé par Vladimir Poutine lors de la 45e conférence sur la politique de sécurité tenue à Munich.

 Il y dénonça l’unilatéralisme américain et l’élargissement de l’OTAN. À partir de ce moment, la dégradation des relations n’alla qu’en s’amplifiant avec le temps.

 En août 2008, le président géorgien Mikheil Saakachvili engagea imprudemment une action militaire contre l’Ossétie du Sud après une multiplication d’incidents de frontière. 

La riposte russe fut immédiate. Après cinq jours de combats et l’avancée de l’armée russe qui menaçait la capitale géorgienne, Tbilissi, un cessez-le-feu intervint sous l’égide de Nicolas Sarkozy.

 Les États-Unis alors enlisés en Irak ne pouvaient que se satisfaire de la médiation de la France, présidée par un fidèle allié, ayant la double autorité de membre permanent du Conseil de sécurité et de la présidence pour six mois du Conseil de l’Union européenne.

 

La révolution de Maïdan et le début d’un processus qui conduit à la guerre

En Ukraine, entre l’est et l’ouest, la ligne internationale du pays était encore loin d’être tranchée. Viktor Ianoukovytch avait à nouveau été élu président en 2010. Un accord d’association avec l’Union européenne était en cours de négociation depuis 2007.

Conclu en 2012, l’accord devait être officiellement signé à Vilnius le 29 novembre 2013 mais, une semaine auparavant, Ianoukovytch refusa de signer.

Alors débutèrent des manifestations dont l’aboutissement fut les émeutes insurrectionnelles de la place Maïdan à Kiev en février 2014, durement réprimées par les forces de l’ordre qui ouvrirent le feu (82 morts et plus de 600 blessés). Devant la tournure révolutionnaire des événements, les ministres des Affaires étrangères français, allemand et polonais (les trois pays avaient constitué en août 1991 une organisation informelle, le triangle de Weimar, peu active depuis plusieurs années) se rendirent à Kiev le 20 février pour engager une négociation afin de rétablir la paix civile.

Si un accord fut conclu entre le président ukrainien et l’opposition, sitôt les ministres des Affaires étrangères partis, les événements se précipitèrent. Ianoukovytch quitta la capitale pour se réfugier à Kharkiv avant de franchir la frontière russe. La Rada, le Parlement ukrainien, destitua le président en exercice, nomma un président par intérim, annonça une nouvelle élection présidentielle et démit plusieurs membres du Conseil constitutionnel.

En riposte à ce qui lui apparaissait comme un coup d’État, Vladimir Poutine ordonna une opération militaire en Crimée, suivie par une annexion après un référendum où le rattachement à la Russie obtint une large majorité. La Crimée arrachée à l’Empire ottoman à la fin du xviiie siècle sous le règne de Catherine II était depuis lors une terre russe. En 1954, pour des motifs liés, d’une part, à l’histoire de la république socialiste soviétique d’Ukraine au sein de l’URSS et, d’autre part, à la recherche d’une cohérence économique régionale, Nikita Khrouchtchev, président du Conseil des ministres de l’URSS et premier secrétaire du Parti communiste, décida de rattacher administrativement la Crimée à l’Ukraine.

Dans l’État soviétique tel qu’il était, la décision n’avait aucune incidence quant à sa cohésion politique. Lors de la réunion du 8 décembre 1991 où les trois participants s’accordèrent sur la dissolution de l’URSS, Boris Eltsine ne posa pas la question de l’avenir de la Crimée qui demeura donc dans les frontières ukrainiennes.

Un premier traité fut conclu en 1997 après le partage de la flotte de la mer Noire accordant un bail de vingt à la Russie (jusqu’en 2017) pour l’utilisation de la base de Sébastopol. Un nouvel accord intervint en 2010, prolongeant le bail jusqu’en 2042.

Parallèlement, aux événements de Crimée, à la suite de la révolution de Maïdan, une partie des populations du Donbass, région russophone à l’est de l’Ukraine, s’insurgèrent, à partir d’avril 2014, contre l’autorité centrale, soutenue par la fédération de Russie, frontalière. Deux territoires de la région avaient proclamé leur indépendance, les républiques de Donetsk et de Lougansk, ratifiée par deux référendums tenus le 11 mai 2014.

La légalité comme la légitimité de ces référendums furent contestées non seulement par les autorités ukrainiennes mais par les puissances occidentales.

Pour mettre fin aux combats, un accord fut conclu à Minsk, le 5 septembre 2014, entre la Russie et l’Ukraine sous l’égide de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

L’accord fut sans effet

. De manière plus solennelle, un second accord intervint le 12 février 2015, Minsk II, dont les signataires furent la fédération de Russie, l’Ukraine, la France, l’Allemagne et les deux républiques de Donetsk et de Lougansk.

Chacun ayant ses arrière-pensées, l’accord ne fut jamais appliqué. Les affrontements se poursuivirent de manière intermittente entre l’armée ukrainienne et les milices des deux républiques dissidentes bénéficiant d’un soutien russe.

Une réalité russe à comprendre

Dans ce contexte de tensions persistantes, à aucun moment il n’est apparu une volonté réelle d’aboutir à un accord formel, au moins à une entente qui aurait tracé, au-delà de la question de l’Ukraine, les perspectives de la relation à établir entre l’Occident et la fédération de Russie. Cette dernière, née de la dissolution de l’URSS, n’en a plus ni la puissance, ni l’aire de domination. Dans l’espace eurasiatiq

ue, elle n’occupe plus qu’un second rôle derrière la Chine devenue en quelque trois décennies une force économique majeure, « l’atelier du monde ». «

 La puissance pauvre », selon l’expression de Georges Sokoloff, est d’abord un pays exportateur de matières premières, particulièrement riche en hydrocarbures.

Pour autant, il ne faut pas négliger ses hautes capacités scientifiques et techniques, mais elle n’a pas su en user pour basculer dans la compétition industrielle mondiale. Institutionnellement, si le président de la fédération de Russie comme la Douma d’État sont élus au suffrage universel dans un régime de partis multiples, l’exécutif, dans sa pratique, s’avère autoritaire et d’un respect pour le moins limité du droit des opposants.

Mais, comme tout pays, la Russie a son histoire, en l’occurrence celle d’un pays qui s’est construit dans une adversité souvent cruelle, conquérant un immense espace fait de diversités. Staline, le tyran communiste, ne saurait peut-être pas être compris sans penser à Ivan le Terrible.

Aujourd’hui, dans un monde géopolitiquement complexe, aux pôles multiples, la Russie de Vladimir Poutine a visé à restaurer une puissance perdue par une emprise plus ou moins ténue sur les républiques ayant constitué l’ancienne URSS. L’Ukraine au temps de celle-ci comme sous celle des tsars après sa conquête en était le fleuron.

Nostalgique de l’Empire russe, Vladimir Poutine ne pouvait pas accepter son basculement dans la sphère américaine. Dans une fédération de Russie qu’il considérait comme subissant la pression américaine, substantiellement aggravée depuis l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine choisit l’option militaire, le but étant d’ordre géopolitique : interdire à l’Ukraine d’intégrer l’aire occidentale.

Nul ne sait, à ce jour, s’il fut mal renseigné sur le potentiel réel de son armée, s’il décida par certitude personnelle ou si ces facteurs se sont combinés.

La politique américaine modelée par l’impératif de suprématie

S’il est incontestable que, dans cette guerre, la fédération de Russie est l’agresseur, il faut néanmoins s’interroger sur le bien-fondé de la politique des États-Unis à son égard.

C’est là toute la question posée par ce que doit être une vision dans la conduite d’une politique étrangère et son excellence.

Quel était l’objectif de l’Amérique dans cette volonté de rabaisser encore une puissance déjà fortement affaiblie par rapport à ce qu’elle avait été au temps de la guerre froide ?

Si tant est que l’URSS fût déjà à l’époque à la hauteur de la puissance qui lui était reconnue. Les États-Unis permirent l’adhésion de la Chine à l’OMC en décembre 2001.

Par ce geste, les dirigeants américains s’imaginaient probablement que l’empire du Milieu, saisi par le développement économique, s’intégrerait dans cet ensemble mondial auquel aspirait une élite dirigeante occidentale. Axée sur le commerce et la multiplicité des échanges, dans une division internationale du travail et le partage de normes communes, la mondialisation ou « globalisation » serait chapeautée par l’Amérique.

La Chine par la voie économique ne manquerait pas d’épouser progressivement, au fil du temps, ces valeurs communes, considérées comme indissociables de cette voie, sous l’égide des États-Unis. Néanmoins, dans cette prétention mondiale, là où le soft power serait déficient pour emporter la décision, le hard power s’y substituerait.

Cette guerre menée par la fédération de Russie à l’encontre de l’Ukraine est le fruit d’un affrontement géopolitique opposant la première aux États-Unis, ceux-ci agrégeant leurs alliés de l’OTAN. L’Amérique a voulu parachever la dislocation de l’URSS par l’entrave à toute formation d’un bloc russe reposant sur la maîtrise d’un étranger proche. La Russie a riposté par l’action violente, moyen déjà adopté contre la Géorgie en 2008.

Les erreurs respectives des États-Unis et de la Russie

Au risque de heurter les uns ou les autres, force est de constater que chacun des deux protagonistes a commis une erreur. D’abord les États-Unis, dans leur dessein : ils ont engagé un processus éloigné d’une réelle compréhension des bouleversements en cours dans l’ordre du monde.

Sa mise en œuvre ne pouvait qu’engendrer maladresses et dissensions. Secondement, la fédération de Russie, dans sa réaction : l’option militaire telle qu’elle a été retenue était incongrue dans son principe puisqu’il s’agissait d’envahir un État indépendant dans un environnement en rupture avec ce qu’avait été la politique des blocs en Europe au temps de la guerre froide

. De plus, l’invasion ayant été mal préparée en proportion des moyens, l’erreur de principe ne pouvait être compensée, en partie du moins, par la rapidité d’action.

 

Les États-Unis et l’Occident isolés

S’il est compréhensible, dans une approche objective des réalités géopolitiques, affranchie des appréciations partisanes, que les États-Unis veuillent assurer la pérennité de leur puissance, encore faut-il que la politique étrangère soit conçue à partir d’une vision appropriée et que la diplomatie afférente soit menée avec discernement. Cela exige des dirigeants à la hauteur des enjeux

. Ces dernières décennies, l’ombre d’un Théodore Roosevelt, d’un Truman ou d’un Nixon avec son conseiller Kissinger apparaît bien lointaine.

Faute d’avoir recherché un équilibre par des coopérations voire des partenariats fondés sur des intérêts réciproques et en dissociant des forces contraires, les États-Unis, entourés par leurs alliés européens, ont finalement été confrontés à l’attaque militaire russe contre l’Ukraine à laquelle ils étaient obligés de réagir. Il est probable que depuis 2014 et la prise de la Crimée par les Russes, l’invasion de l’Ukraine était une hypothèse retenue, en témoigne l’aide militaire déjà développée.

Cependant, il faut constater que si cette invasion a été condamnée par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 2 mars 2022, votée à une très large majorité (141 voix pour, 35 abstentions et 5 votes contre), en revanche, hors Occident, la politique des sanctions adoptée par celui-ci n’a pas été suivie par le reste du monde. Dans ce qui est dénommé maintenant le « Sud global », chacun a agi selon ce qu’il estimait être ses intérêts, ne se joignant pas aux sanctions ou les détournant.

La Turquie, elle-même, membre de l’OTAN, ne les a pas appliquées. Les États-Unis et leurs alliés ont ainsi été isolés dans ce domaine.

Des études montrent qu’après une récession limitée en 2022 la croissance du PIB russe sera positive en 2023 (voir les articles de Jacques Sapir publiés sur le site Les-Crises.fr : « PIB russe : pourquoi les prévisionnistes se sont-ils trompés sur leurs estimations pour 2022 », 6 juin 2023 ; « La croissance de l’économie russe au 2e semestre 2023 », 17 août 2023 ; « Comprendre la croissance russe de 2023 », 5 décembre 2023). Par ailleurs, les mesures de gel des avoirs prises par les États-Unis constituent un facteur incitatif à la « dédollarisation » des échanges commerciaux, politique conduite notamment par les BRICS (composée du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, l’organisation a été élargie lors de son XVe sommet d’août 2023 à six autres pays : l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Argentine et les Émirats arabes unis).

Une réticence au sein même des États-Unis au soutien militaire et financier à l’Ukraine

Outre ces oppositions extérieures, il faut noter les réticences observées aux États-Unis pour une aide à l’Ukraine puisque le plan de soutien de 106 milliards de dollars (qui comprenait aussi l’aide à Israël, l’aide à l’Ukraine ayant été fixée à 61 milliards de dollars) proposé par le gouvernement a été rejeté le 6 décembre 2023 par le Sénat.

Certes, il s’agit d’une négociation interne avec l’opposition républicaine (contreparties demandées sur la politique migratoire vis-à-vis du Mexique) mais il est probable que cette aide à l’Ukraine sera plus discutée que celle pour Israël.

La position internationale de la fédération de Russie affaiblie mais des gains possibles sur le plan économique

De son côté, si la fédération de Russie n’est pas frappée par les sanctions comme elle aurait pu l’être, sa position internationale est néanmoins affaiblie. Notamment, dans sa relation avec la Chine, elle se trouve dans une situation seconde. Les républiques d’Asie centrale ont pris quelques distances, en partie au bénéfice de la Chine. Cependant, il faudra observer

dans les années qui viennent les effets, pour le développement économique du pays, des mesures de substitution aux sanctions prises par les pays occidentaux.

Les bases de négociation et d’un accord

À ce jour, toute prévision sur l’évolution de la guerre en cours s’avère hypothétique. La contre-offensive de l’été 2023 a globalement échoué au regard des espérances ukrainiennes et occidentales. Les ressources ukrainiennes sont loin d’être illimitées par rapport à l’adversaire russe.

De plus, le nouveau conflit qui a éclaté au Proche-Orient aura inévitablement une incidence en détournant pour partie l’attention américaine.

Pour le crédit des États-Unis et de l’Occident après les revers subis dans différents engagements militaires, il est indispensable d’éviter tout recul ou défaite.

Pour un ensemble de raisons, il n’est pas dans l’intérêt de la fédération de Russie de prolonger un conflit coûteux en hommes et en matériels et qui limite ses capacités d’action sur le plan des relations internationales.

À moins que les uns ou les autres, Ukrainiens ou Russes, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, n’arrivent à bousculer les forces adverses, un cessez-le-feu devra intervenir sur les positions du moment.

Les négociations attendues auront pour objet de résoudre un affrontement aux origines avant tout d’ordre géopolitique.

Cela conduit à exclure l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Quant à son adhésion à l’Union européenne, les conditions n’en sont pas réunies.

Elle ne doit pas créer de nouvelles distorsions économiques entre les États membres. Sur l’aspect territorial, si la Crimée demeurera russe, la question se posera notamment pour la mer d’Azov si celle-ci doit devenir une mer intérieure de la fédération de Russie, sa rive occidentale permettant une continuité territoriale entre cette dernière et la péninsule.

L’accord, bien sûr, devra faire l’objet de garanties internationales associant les membres permanents du Conseil de sécurité, l’Allemagne et probablement la Pologne, frontalière de l’Ukraine et en première ligne européenne dans le conflit.

Par Michel Leblay
Première publication le 13/12/2023

Notes

[1] Il précise que « la Grande-Bretagne, le Japon et l’Indonésie, pays sans doute très importants, ne relèvent pas de cette catégorie ».
[2] Selon Olivier Zajec (Nicholas John Spykman – L’invention de la géopolitique américaine, publiée à la Librairie PUPS), George Kennan n’aurait pas été inspiré dans ce concept de containment par la théorie de Spykman, il dériverait de sa lecture de Mackinder. Cependant, l’auteur précise que selon Brian W. Blouet « Spykman n’était pas l’auteur de la théorie du containment, qui est celle de George Kennan, mais le livre de Spykman, fondé sur la thèse du Heartland, aida à préparer le public américain à un monde de l’après-guerre dans lequel l’Union soviétique serait contenue sur ses flancs ».
[3] Richard (Hélène), « Quand la Russie rêvait d’Europe », Le Monde diplomatique, septembre 2018. Descamps (Philippe), « L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », ibid.

[4] Voir Nikonov (Vyacheslav), « La Russie et l’Occident : des illusions au désenchantement », Critique internationale 2003/1, Presses de Sciences Po.

 
Michel Leblay est cadre financier, ancien administrateur du Club de l’Horloge et patron d’émission à Radio Courtoisie.
 
Source et Publication :  https://www.polemia.com/guerre-en-ukraine-

12/08/2024

UKRAINE, LE GRAND AVEUGLEMENT EUROPÉEN ! ( POLÉMIA )

 

Ukraine, le grand aveuglement européen

Ukraine, le grand aveuglement européen

par | 11 août 2024 | Géopolitique

Ukraine, le grand aveuglement européen

Dans son habituel style truculent, Frédéric Eparvier – chroniquant Ukraine : Le grand aveuglement européen de Jean-Bernard Pinatel – nous livre une analyse pertinente du décalage entre le discours politico-médiatique sur l’Ukraine et la réalité et démontre la nécessité pour la France et l’Europe de comprendre la situation et de sortir de la sujétion aux États-Unis.


Polémia

 

Le décalage entre le discours médiatique et le réel sur l’Ukraine

Mon ami du « Mannekenfish[1] », le club de waterpolo LGBTQA++[2] de Bruxelles, arborait il y a quelques semaines, un superbe cocard à l’œil gauche, et quelques grosses rougeurs sur les joues qui montraient qu’en plus d’avoir passé un vilain quart d’heure, il avait pris quelques baffes.

Le « couillon » m’a raconté, devant ma surprise, qu’il avait décidé d’aller défiler avec les militants LGBTQA++ à Kiev le dimanche 24 juin, pour montrer sa solidarité aux héroïques combattants ukrainiens. Il m’a avoué qu’ils étaient 2000 environ (8000 selon les organisateurs, mais on sait ce qu’il en est des évaluations des organisateurs) protégés par au moins autant de policiers, car les militants des groupes Azov et Pravi Sektor, qui ont une conception assez virile de la masculinité et de la vie citadine, s’étaient aussi rassemblés en masse pour exprimer avec des bâtons, leur désaccord devant ce défilé coloré. Bien évidemment les sympathiques progressistes se sont faits insulter, bousculer, rosser, et une bonne partie n’a trouvé son salut qu’en fuyant se réfugier dans les stations du métro, à l’invitation des policiers qui disaient : « Comme cela, on ne vous verra plus ».  

Mon ami, en secouait la tête de dépit, et a terminé son explication par un sinistre « ce sont des nazis » …
J’ai tout fait pour dissimuler un air bêtement réjouit, et j’ai conclu notre échange par le très classique : « I rest my case[3]».

Ce triste épisode, montre bien le décalage qu’il y a entre ce qui est raconté par les médias de grands chemins sur la base d’une dépêche AFP, annonçant que « tout s’était bien passé » et la réalité racontée par des témoins directs…

Une analyse et un journal sur l’Ukraine

C’est bien l’intérêt du livre du général Pinatel (2S) qui décrypte la guerre en Ukraine et l’analyse comme peu de généraux français le font à la télé, et particulièrement sur LCI ou sévit le pitoyable général (2S aussi[4]) Yakovleff[5], tout à son rôle du militaire brut de décoffrage.

En fait ce sont deux livres que nous propose le général Pinatel : une analyse en 178 pages et 8 chapitres de la guerre, de ses causes, de son déroulement, et de ses probables conséquences, mais aussi, en 198 pages son journal des évènements qui reprend ses « posts » X et LinkedIn, tirés essentiellement de la presse anglaise et américaine[6]. Cette seconde partie se lit comme un film passionnant des évènements, si l’on accepte les nombreuses redites, qui sont un peu la faiblesse obligée de l’exercice.

Elle démontre en tout cas, que l’analyse du général Pinatel se révèle assez juste dès le début de la guerre en février 2022.

On note aussi avec intérêt que le général Pinatel omet complètement de commenter les deux contre-attaques ukrainiennes victorieuses[7] sur Kherson et Izioum de la fin de l’automne 2022, qui ont surtout démontrées que l’Opération Militaire Spéciale, était en fait assez mal montée.

La Russie peut-elle perdre ?

La thèse du général Pinatel, qui est la clef de voute de la première partie du livre, est que la Russie ne peut pas perdre (et ne perdra donc pas) cette guerre, car elle est une puissance nucléaire et que les États-Unis ne prendront jamais le risque d’une confrontation directe avec la Russie. Conséquemment, tout ce que les États-Unis peuvent faire c’est : « Donner suffisamment pour affaiblir la Russie, pas assez pour que l’Ukraine gagne. [8]»

Et c’est bien ce qu’ils font avec au moins deux effets induits :

  • Un enrichissement important de leur industrie de défense qui est la première bénéficiaire de l’aide américaine aux Ukrainiens, et des commandes directes des pays européens qui commandent, rappelons-le, plus de 80% de leur effort de défense aux États-Unis.
  • Un assujettissement durable de l’Union Européenne, dont certain pays (l’Allemagne) se rapprochaient quand même un peu trop de la Russie au goût des Américains.

Comme il le résume à la fin de son introduction : « Je suis convaincu que cette guerre d’Ukraine, est une guerre pensée et voulue par les néoconservateurs et le lobby militaro-industriel américain car elle a l’avantage, […] de ne pas impliquer directement l’armée des États-Unis et donc d’éviter les pertes de soldats américains qui sont très mal vécues par la population américaine et qui sont le ferment le plus puissant de l’isolationnisme américain […] Cette guerre par proxy utilise cyniquement le sang ukrainien pour éviter une alliance économique et stratégique entre l’Europe et la Russie et maintenir une Europe affaiblie dans le camp atlantiste avec la complicité des dirigeants européens. [9]»

Chaque chapitre se veut ensuite une démonstration de cette thèse.

Des analyses percutantes

Dans le premier chapitre le général Pinatel rappelle la doctrine nucléaire russe (pas d’emploi en premier sauf en cas de menace directe contre la sécurité du territoire) mais aussi que selon lui, Poutine est persuadé que les Américains ne risqueront pas un conflit nucléaire pour Kiev, et qu’il a donc la liberté de gagner en rasant l’Ukraine sous les bombes. C’est exactement la conclusion de John Mearsheimer, un politologue américain de l’école réaliste, dont les analyses méritent vraiment d’être suivies, et qui prédit que la Russie va transformer l’Ukraine en état croupion et failli[10].

Le deuxième chapitre est l’un des plus intéressant car le général y déploie sa compétence de soldat, en analysant la guerre sous un angle militaire : le nouveau rôle des drones, qui rendent le champ de bataille totalement transparent (sans parler de l’effet sur le moral des soldats), la supériorité aérienne russe que quelques F16 ne remettront pas en cause (sans parler de la problématique formation des pilotes qui vont mettre des années à passer de la « compétence consciente » à la « compétence inconsciente », et seront donc des cibles faciles pendant ce temps[11]), et enfin la profondeur des stocks et la capacité de production russe très supérieure aux capacités occidentales, font que les pertes ukrainiennes seront inacceptables dans la durée. Durée qui est justement l’élément clef d’une guerre d’attrition. Pinatel souligne enfin l’adaptabilité de l’armée russe, qui est loin de la description qu’en font nos généraux en retraite qui cachetonnent sur BFM ou LCI.

Certes Pinatel tombe parfois dans le travers des militaires de se perdre dans les détails techniques des armements (très franchement, on se fout un peu de savoir que l’hélicoptère Ka 52 a deux hélices contrarotatives) mais son analyse montre bien que dans la guerre qui se déroule maintenant, l’Ukraine perdra des territoires, et une grande partie de sa jeunesse. Il termine ce chapitre en « uchronisant » trois scenarii : un scénario à la coréenne (arrêt de la guerre chaude sur la ligne du front actuelle), un deuxième qu’il appelle « un pont trop loin [12]» dans lequel la Russie tente d’aller jusqu’à Odessa, et relance la réaction occidentale, et enfin, la nucléarisation du conflit par la Russie devant l’essoufflement de ses offensives dont on ne sait pas où elle pourrait mener…

Comme je l’ai déjà écrit[13], je crois qu’il y a des hypothèses beaucoup plus simples : 1) le scenario coréen effectivement, 2) une longue offensive russe, se terminant par l’effondrement de l’armée ukrainienne. Dans ce cas, la question est de savoir jusqu’où les Russes décideront d’aller. La logique géopolitique est d’aller jusqu’à Odessa, hypothèse à laquelle Pinatel ne croit pas. Quant à la troisième hypothèse, la contre-attaque ukrainienne, et l’effondrement de l’armée russe, plus personne n’y croit. Et même Philip K. Dick n’oserait en faire un roman[14].

Câbles électriques en maïs et déséquilibre informationnel

Dans le troisième chapitre, Pinatel démontre que la profondeur des stocks russes, et leurs capacités de productions font que l’armée russe, est en 2024 plus puissante qu’elle ne l’était en 2022[15]. Tandis que dans le quatrième chapitre, il analyse le désarmement coupable auquel les pays européens se sont livrés depuis 1990. Concluant : « Ce sont cinq et non trois milliards de plus par an qu’il aurait fallu programmer jusqu’en 2030.[16] » Il a entièrement raison, mais la gestion calamiteuse du trésor public par la Canche[17] de la finance et de Nono les bons zéros, nous en empêchera pendant de longues années.

Un aspect du désarmement n’est pas étudié ici par le général Pinatel, c’est celui de l’inadéquation du matériel occidental à la guerre d’Ukraine. Ayant travaillé sur des modèles à la fois « coloniaux » ou hypersophistiqués, et parfois plus pour faire tourner les bureaux d’études que pour donner à nos armées ce dont elles ont besoin, certains matériels se révèlent totalement inadapté à la guerre actuelle. Ainsi, pour avoir obéi aux injonctions de la transition énergétique, les fabricants de véhicules blindés les équipent dorénavant de câbles électriques dont le gainage n’est plus fait de plastique mais de fibre de maïs. Fibre de maïs que les rats qui pullulent dans la campagne ukrainienne trouvent excellents. Et sans câbles électriques, les chars ne démarrent plus. Il va falloir revenir à des règles qui ont pourtant fait leur preuve : rusticité, simplicité et quantité[18].

Puis, retrouvant les grilles de lectures qu’il avait contribué à mettre en place au SIRPA[19] où il fonda le COPID[20], Pinatel se livre à une analyse de la désinformation dont nous avons tous été victimes par les médias de grands chemins, sans malheureusement en révéler les causes : « Pourquoi LCI a-t-il choisi cette ligne éditoriale totalement pro-Ukraine, écartant des journalistes compétents comme Vincent Hervouet ou d’autres reporters de guerre comme Anne-Laure Bonnel ? Est-ce par idéologie ou par intérêt au niveau du groupe qui en est le propriétaire ? Je suis incapable de le dire.[21] »

Il liste ensuite toute une série de mensonges éhontés, jamais démentis, et innove avec la catégorie de désinformation par incompétence. Il me semble pourtant que quand on joue avec la vie de jeunes hommes, la moindre des choses et de réfléchir plusieurs fois à ce qu’on dit.

Le général Pinatel termine son exposé, en intégrant la guerre d’Ukraine dans l’histoire longue [22]: la chute du mur, la volonté américaine d’imposer son modèle libéral à l’Europe et au monde. Je trouve ici, qu’il exonère quand même un peu vite Vladimir Poutine de ses propres responsabilités, et qu’une lecture plus nuancée serait quand même nécessaire pour contribuer à la construction d’une nouvelle architecture de paix en Europe.

Mais devant le déséquilibre informationnel et effrayant auquel nous assistons à la télé depuis deux ans, ce livre a déjà l’immense qualité de rétablir un peu l’équilibre dont nous avons besoin, en plus d’être, sur certaines parties très bien informé et réfléchi.

Frédéric Eparvier
11/08/2024

[1] Voir mon article du 21/6/24 sur La fascination russe, d’Elsa Vidal
[2] www.mannekenfish.weekly.com
[3] Dans les films américains, phrase classique des avocats quand ils ont terminé leur plaidoirie. Équivalent de : « je n’ai rien à ajouter ».
[4] Pour alléger le texte, j’arrête ici, cette précision. Retenez que ce quarteron de généraux est à la retraite.
[5] Il est très intéressant de voir comment ce général qui jouissait plutôt d’une belle carrière et d’une bonne réputation : commandement du 2 REC, postes importants à l’État-Major et à l’O.T.A.N., avec une œuvre théorique de référence, se perd dans des analyses foireuses et largement démontrées comme fausses, essentiellement pour avoir l’impression d‘exister en passant à la télé. Le titre de son compte X : « la punchline du général » est d’ailleurs très révélatrice de son égo. Mais Hubris annonce toujours l’arrivée de Némésis.
[6] R.U.S.I., New York Times, Foreign Affairs
[7] A nuancer pour Kherson.
[8] Commentaire « off » d’un général américain au général Pinatel. Cité a de nombreuse reprise dans le livre, et notamment en exergue d’icelui, p. 7.
[9] Pinatel, Jean-Bernard. Ukraine, le grand aveuglement européen. Editions Balland, 2024. p. 14
[10] Nombreuses conférences visibles sur Youtube.
[11] Pinatel. Ibid., pp 39-42.
[12] Pinatel. Ibid. p.68
[13] Le Dialogue. Exercice en rationalité : la décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine en février 2022 a-t-elle participé d’une forme de rationalité ? 11 juin 2023
[14] Auteur du remarquable : Le Maître du haut château.
[15] Pinatel. Ibid., p.79
[16] Pinatel. Ibid., p. 89
[17] Fleuve du Pas de Calais qui se jette dans la mer au Touquet.
[18] Conclusion de Maria Berlinska de l’armée ukrainienne qui donnait une conférence à l’IFRI le 25 juin dernier (passionante).
[19] Service d’Information et de Relations Publiques des Armées
[20] Centre Opérationnel de la Presse de la Défense.
[21] Pinatel. Ibid., p. 103
[22] Chapitres 6, 7 et 8.

 
 
Frédéric Eparvier est cadre dirigeant au sein d’une grande entreprise française à caractère stratégique.
 
Source :  https://www.polemia.com/ukraine

03/08/2024

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