Recep Tayyip Erdoğan essaie, depuis des années, de conserver son improbable statut d’équilibriste au sein de la communauté internationale.

La Turquie est membre de l’OTAN mais ne s’est pas servie de ce statut depuis longtemps pour se joindre aux opérations menées par les États-Unis.

La Turquie a failli rejoindre l’Union européenne, et il a fallu la clairvoyance de certains hommes politiques, comme Philippe de Villiers en 2005, pour que les frontières de l’Europe ne s’ouvrent pas toutes grandes pour accueillir un pays historiquement ennemi.

Les Turcs acceptent de bloquer une partie de la déferlante migratoire mais disposent, ce faisant, depuis près de dix ans, d’un puissant levier de chantage.

Il n’est rien dans leur politique, jusqu’à leur comportement pendant la guerre contre l’État islamique, qui ne soit marqué du sceau de l’ambiguïté. Erdoğan veut peser sur l’Occident, traiter d’égal à égal avec les géants alternatifs des BRICS, et « en même temps » faire que son pays redevienne le phare de la Oumma.

Cette semaine, Erdoğan s’est exprimé deux fois sur le conflit israélo-palestinien en cours, qui n’en finit pas de polariser la société autour de la lutte entre Israël et le Hamas.

Le 25 octobre, il a prononcé un discours devant le groupe parlementaire de son parti, l’AKP.

Il en a profité pour évoquer la réaction de l’État hébreu aux atrocités commises par le Hamas. Pas un mot, évidemment, pour les victimes israéliennes ni pour les circonstances de leur meurtre gratuit et délibéré.

Le fait que des civils gazaouis fassent partie des dommages collatéraux des frappes israéliennes émeut le sultan, mais le sort des familles juives martyrisées n’a, semble-t-il, pour lui pas d’importance.

Le président turc a également affirmé qu’il dirigeait - selon ses dires - le seul État qui, au cours de l’Histoire, n’ait jamais fait preuve de racisme.

Il s’est explicitement référé à la présence de Juifs sous l’Empire ottoman.

La deuxième intervention du président turc s’inscrivait d’ailleurs, elle aussi, dans l’Histoire longue.

Ce samedi 28 octobre, à Istanbul, sur la piste de l’ancien aéroport Atatürk, Erdoğan s’est adressé à des centaines de milliers de partisans. Le chef d’État portait un keffieh, orné du drapeau palestinien, au cas où le message ne serait pas suffisamment clair.

Au milieu d’un discours très offensif sur Israël et d’une défense partiale du Hamas, on trouve par exemple « Israël, nous vous déclarerons devant le monde entier criminel de guerre », avant une déclaration sur le fait que ce « qui se passe à Gaza n’est pas de l’autodéfense, mais un massacre ».

Erdoğan, pour autant, semble se vouloir aussi peu antisémite qu’au temps de la Sublime Porte : il n’est ainsi, à la différence de beaucoup dans le monde musulman, pas persuadé qu’une élite juive manipule le monde occidental en lui faisant faire des guerres qui ne le concernent pas. B

ien au contraire, pour lui, « chacun sait qu’Israël n’est qu’un pion que [les Occidentaux] pourront sacrifier le moment venu. Parce qu’Israël ne peut rien faire sans eux. » L’ennemi de la Turquie, le vrai, serait donc l’Occident.

Le président turc enfonce le clou : « Ô l’Occident, je m’adresse à vous : voulez-vous relancer une nouvelle croisade du Croissant contre la Croix ? » Difficile d’être plus clair…

Voilà qui devrait faire tomber les écailles des yeux les plus angélistes.