Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/03/2024

L' AMÉRIQUE DE PLUS EN PLUS ÉTRANGÈRE À SES ORIGINES CULTURELLES !

REVUE DE PRESSE !

 

Mathieu Bock-Côté : L’Amérique, de plus en plus étrangère à ses origines culturelles, devient un pays postnational et post-occidental tout à la fois.


Par Mathieu Bock-Côté.

COMMENTAIRE –

Cette chronique est parue dans le Figaro de ce matin.

Nous ne la commenterons pas en tant que telle car, quel que soit son intérêt, elle apparaît surtout descriptive.

Descriptive d’une sorte de décomposition en marche dont on voit mal comment le processus pourrait être inversé.

Elle montre combien les données présentes qui semblent les mieux établies – l’hyperpuissance étatsunienne, en l’occurrence – peuvent, à terme relativement court, devenir caduques.

D’autant que l’analyse d’esprit sociologique exposée ici, nous rappelle, en la rejoignant, la réflexion d’historien, démographe, géopoliticien, que mène Emanuel Todd, avec grand talent et pertinence.

Elle va dans le même sens, solidement étayée. Le monde change en profondeur et de cette mutation de l’ordre politique mondial, la crise ukrainienne n est sans doute que l’épiphénomène révélateur.

Et sans doute pas le plus important.

L’Histoire est de retour.

Le mythe de la mondialisation heureuse, comblée des joies et de la paix par le marché, est peut-être en train de basculer du côté des illusions surannées. 

    

 

CHRONIQUE – Si on ne risque pas de voir les États-Unis se fracturer formellement après l’élection présidentielle, le pays pourrait se laisser entraîner dans une dynamique de sécession interne.

« Les élections de novembre afficheront cette décomposition à la face du monde. »

Les résultats du Super Tuesday n’ont pas vraiment surpris. Ils ne pouvaient pas vraiment surprendre, d’ailleurs. Donald Trump sera le candidat républicain dans quelques mois – même si certains rêvent d’une candidature indépendante surprise de Nikki Haley.

Joe Biden sera quant à lui le candidat démocrate – à moins qu’il ne soit au dernier moment remplacé, au terme d’un putsch intérieur justifié par l’effondrement visible de ses capacités cognitives.

Mais, si la tendance se maintient, les deux s’affronteront, comme il y a quatre ans.

L’Amérique de 2024 est toutefois beaucoup plus polarisée que l’Amérique de 2020. Non pas qu’elle fût apaisée à ce moment : on le sait, le système politico-administratif et médiatique américain n’a jamais vraiment accepté l’élection de Donald Trump en 2016, et a milité ardemment pour dynamiter sa présidence, en la paralysant de l’intérieur, en contestant dès le premier jour sa légitimité.

Elle a d’ailleurs tout fait pour bloquer sa réélection.

Trump, de son côté, n’est jamais parvenu à sortir d’une logique insurrectionnelle et factieuse, qui ne fut pas étrangère à l’émeute du Capitole.

Quatre ans plus tard, donc, les États-Unis sont divisés comme jamais.

Quel que soit le résultat de l’élection, en novembre prochain, il ne sera pas accepté, et pourrait s’accompagner de violences politiques des deux côtés.

Chaque camp promet une purge à grande échelle et perçoit l’autre moitié de la nation à la manière d’un membre gangrené.

La mémoire de la guerre civile rejaillit et, si on ne risque pas de voir le pays se fracturer formellement, il pourrait se laisser entraîner dans une dynamique de sécession interne – en fait, elle est déjà enclenchée.

On a fait grand cas, récemment, de la crise migratoire au Texas, qui a vu le gouverneur républicain mobiliser la garde nationale contre les représentants du gouvernement fédéral, dans l’espoir de maîtriser la frontière.

La charge symbolique était forte : deux souverainetés s’affrontaient au sein du même pays, et l’idée d’une république texane est même symboliquement réapparue.

Derrière cela s’annonce un mouvement de refédéralisation – et peut-être même de reconfédéralisation des États-Unis, renversant la tendance forte à la centralisation qui s’est opérée depuis un siècle.

Un rôle perdu

Il faut garder à l’esprit qu’à partir de la crise de 1929, à laquelle Roosevelt a répondu par le New Deal, jusqu’à l’époque de la Great Society, portée par Lyndon B. Johnson, on a assisté à un mouvement de centralisation accélérée de la vie américaine – le gouvernement fédéral a étendu son emprise sur la société, ce qui a participé à la mise en place de ce que la politologie conservatrice nomme aujourd’hui l’État administratif, indissociable, par ailleurs, de la judiciarisation de la société.

Les États ont vu leur autonomie se réduire. Une nouvelle constitution a pris forme implicitement.

Il s’agissait en quelque sorte d’une entreprise de nation building intérieur, pour parachever l’intégration symbolique et sociale du pays. Il faut dire que la cause des droits des États, dans les années 1950, a souvent servi de cache-sexe aux défenseurs de la ségrégation raciale, ce qui l’a abîmée moralement.

Mais le contexte historique n’est plus le même.

C’est une dynamique inverse qui s’engage.

Les États, dans la prochaine séquence historique, risquent d’être réinvestis politiquement, culturellement et existentiellement et de retrouver un rôle qu’ils avaient perdu.

 

La Floride et la Californie n’ont plus grand-chose en commun.
Le substrat éthique des deux États n’est plus le même.
Ce sont deux peuples mutuellement exclusifs qui les habitent
 

Très concrètement, la Floride et la Californie n’ont plus grand-chose en commun.

Le substrat éthique des deux États n’est plus le même.

Ce sont deux peuples mutuellement exclusifs qui les habitent.

Le phénomène risque de s’accentuer.

Qu’ont en commun aujourd’hui la Nouvelle-Angleterre et le heartland conservateur ?

S’ajoute à cela la question de l’immigration, dans un pays où la conscience ethnoculturelle, et même raciale, est revendiquée et s’accompagne d’une structure sociale et juridique favorable aux communautarismes.

L’hispanisation du sud du pays radicalise la crise.

L’Amérique, de plus en plus étrangère à ses origines culturelles, devient un pays postnational et post-occidental tout à la fois.

Dans ce scénario, Washington, de plus en plus, se présentera comme une capitale lointaine, doublement impériale, à la fois pour les États américains s’en méfiant à la manière d’un gouvernement lointain, et pour le monde entier, où les États-Unis sont encore tentés d’exercer une forme de leadership global, même si on voit resurgir une tentation isolationniste, inscrite dans les profondeurs du pays, qui a sa légitimité.

Les Américains ne se reconnaissent plus dans un plébiscite quotidien.`

 

La fabrique sociale est en crise, l’effondrement psychique et physique de la population est acté, la violence banalisée, la folie woke institutionnalisée.

Les élections de novembre afficheront cette décomposition à la face du monde.   

Mathieu Bock-Côté


Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.

Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise.

Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €. 


Les commentaires sont fermés.